Lettre ouverte au ministre sur la réforme des lycées
Monsieur le ministre,
De nombreux scientifiques, parmi les plus connus dans notre pays, ainsi que des associations viennent de s’adresser à vous pour vous faire part de leur crainte d’une chute du niveau scientifique des élèves découlant de la mise en œuvre en classe de première, à la rentrée prochaine, de la réforme du lycée. Le SN-FO-LC partage totalement cette appréciation et voudrait une nouvelle fois vous presser de suspendre l’application de vos mesures concernant le lycée et d’ouvrir sans attendre davantage des négociations sur la base des revendications des enseignants telles que, notamment, elles se trouvent reprises au travers de cette initiative.
Vous leur avez répondu qu’ « il n’est pas pertinent d’évaluer l’ambition scientifique du nouveau lycée à l’aune des seules heures d’enseignements disciplinaires » en les renvoyant au « nouvel enseignement d’exploration méthodes et pratiques scientifiques en classe de 2nde et l’accompagnement personnalisé de 2 heures par semaine pour chaque élève ».
Aucun enseignant, vous ne pouvez l’ignorer, ne pourra entrer dans votre argumentation. Votre réponse apparaît au contraire comme une preuve à charge contre cette réforme :
" Les enseignements d’exploration sont semestriels et ne sauraient donc se situer dans le cadre de l’indispensable assimilation des connaissances répertoriées dans le programme annuel de la classe.
" L’accompagnement personnalisé, comme son nom l’indique, n’a pas pour objectif d’étendre ou d’approfondir les contenus disciplinaires ; son organisation même l’interdit.
" Les uns et l’autre sont conçus comme répondant à des demandes ou des besoins individuels. De fait, beaucoup de choses dépendent des moyens disponibles dans l’établissement. Ils ne peuvent en aucun cas être portés au compte d’une discipline précise.
Un élève de 1ère S bénéficiait de 5 heures de mathématiques et de 4h30 heures de physique, dont 2 de travaux pratiques; il n’en aura plus que 4 en mathématiques et 3 en physique. Il s’agit de l’aboutissement d’une évolution qui a vu, en 30 ans, un élève de section S perdre 198 heures de cours sur l’ensemble de sa scolarité secondaire, soit l’équivalent d’une année et demie. Dans la filière L, les élèves se trouvant contraints de choisir entre langues vivantes, langues anciennes ou mathématiques, toute une partie d’entre eux seront donc entièrement privés de maths. Comment ne pas s’en inquiéter sachant que parmi eux figurent en particulier ceux qui demain seront professeurs des écoles et devront donc enseigner les mathématiques ?
L’enseignement scientifique a tout particulièrement besoin de temps, de méthode et de suivi rigoureux et précis. En ce sens votre réponse, pour reprendre le terme des scientifiques qui s’adressent à vous, ne peut apparaître « raisonnable » : elle ne peut répondre à leurs attentes.
Une seconde conclusion s’impose également -c’est ce sur quoi les grands noms scientifiques cherchent à vous alerter aujourd’hui – c’est la baisse inévitable, mécanique, du niveau des connaissances transmises, d’autant que l’hétérogénéité, voire le chaos, qui se sont installés au collège, conduisent au lycée des cohortes d’élèves auxquels les enseignants de lycée doivent consacrer une part précieuse du temps à combler les retards.
S’il est une conclusion globale à tirer de ces dispositions, s’ajoutant au volant de 10, 5 heures à gérer localement, c’est qu’elles créent une situation marquée par l’inégalité devant l’instruction, totalement contradictoire avec l’objectif de garantir un niveau d’instruction de chaque génération et, par là même, avec la tradition républicaine de notre Education nationale. L'autonomie des établissements n'apporte aucune solution, au contraire, pour pallier la régression inévitable du niveau des connaissances transmises à la jeune génération résultant de la diminution des horaires de cours disciplinaires.
De nombreux historiens, professeurs de sciences économiques, philosophes ont déjà sonné la sonnette d’alarme, aujourd’hui, ce sont les plus grands scientifiques français. Il faut faire une pause, monsieur le ministre, on ne peut continuer ainsi.
A l’origine de vos décisions, on trouve l’acharnement du gouvernement à réaliser des économies et, en particulier, à ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux. Le résultat en est une amputation des connaissances transmises, de plus en plus confondues dans la totalité vague des « compétences ». Une même inquiétude légitime mêle le refus de voir baisser les qualifications dispensées dans les classes préparatoires et les grandes écoles d’une part, et la détermination à conserver les postes et les garanties statutaires des enseignants d’autre part.
Sans doute, les familles qui en auront les moyens continueront-elles à trouver des écoles privées de haut niveau mais cela ne saurait satisfaire ni les besoins de la nation, ni une part importante de l’opinion publique très attachée, avec nous, au droit à l’instruction garantie par l’Education nationale.
Enfin, nous vous prions une nouvelle fois, monsieur le ministre, de prendre en compte le souci inhérent à cette volonté de défendre le niveau des connaissances, concernant nos obligations de service. A l’acquisition de « compétences », peuvent sans doute correspondre des animateurs destinés à des tâches pédagogiques diverses et polyvalentes. Mais, lorsqu’ il s’agit de la transmission de connaissances disciplinaires, les professeurs tiennent à la définition de leurs obligations de service en heures de cours hebdomadaires précisément dans les disciplines dont ils sont spécialistes.
Cette réforme inquiète tant les scientifiques, les associations disciplinaires que l’ensemble des collègues et suscite leur rejet: il est encore temps d'en suspendre l'application. Nous sommes pour notre part prêts à participer à toute discussion qui permettrait de rouvrir le dossier de la réforme du lycée.
Nous vous vous prions de croire, monsieur le ministre, à notre très haute considération.
Jacques Paris
Secrétaire général